Tony Moggio : colosse au dos brisé

Rugby à XV

Sa voix est enthousiaste quand il parle de son nouveau projet : traverser le golfe de Saint-Tropez à l’aide d’un Sofao, une sorte de fauteuil aquatique qui permet aux handicapés de s’immerger dans l’eau. L’homme est affable et a des choses à raconter. Sur ce nouveau défi, sur le drame qu’il a vécu, sur le rugby d’hier et d’aujourd’hui. Tony Moggio, 33 ans, le visage rond, un corps robuste, est en fauteuil roulant depuis 2010, tétraplégique depuis ce match maudit à Labarthe-sur-Lèze (Haute-Garonne) qui a vu son destin se briser en même temps que sa colonne vertébrale.

«C’était un match du dimanche à 15 heures, au début je ne devais pas jouer, c’était mon jour de repos. On en avait convenu avec mon entraîneur.» Mais voilà, le talonneur remplaçant de son club de Castelginest est malade, Tony est donc de la partie. «Ça devait être la cinquième mêlée. Un de mes piliers était déstabilisé par les commandements du jeune arbitre.» Rien jusque-là n’avait pu laisser penser à cet ancien para, devenu cheminot dans la vie civile, qu’il se retrouverait en fauteuil roulant suite à un match de rugby, sa passion.

«J’avais été engagé chez les paras, plusieurs fois sur les théâtres d’opérations j’avais vécu des situations dangereuses. Alors le rugby…» Et pourtant, ce jour-là, Tony se retrouve sans appui la tête coincée dans l’axe de la mêlée. «J’aurais dû mourir sur le coup ou tomber dans le coma. Mais l’esprit est puissant, je pourrais raconter la moindre seconde. J’ai entendu trois craquements, le premier m’a éteint la lumière.»

«Quand les pompiers sont arrivés, j’ai compris dans leur regard»

Un de ses coéquipiers sapeur-pompier lui maintient les cervicales en attendant les secours. «Quand les pompiers sont arrivés, j’ai compris dans leur regard.» Tony est transporté à l’hôpital. Il fait un arrêt cardiaque, est ranimé. Et par la suite, une embolie pulmonaire. Mais Tony est un guerrier, dans la vie comme sur le pré, sur ses deux jambes comme dans son fauteuil. Il fait un an de rééducation à la clinique de Verdaich en Haute-Garonne

Un jour, son médecin habituel est remplacé. «Quand on est tétraplégique, il y a un protocole qui est mis en place pour le patient. Tout le monde ne réagit pas de la même façon à l’annonce du handicap. Quand le nouveau kiné est arrivé, j’ai réussi à le piéger, il a fini par me dire : Tony, tu ne marcheras plus jamais. Je me suis mis à pleurer comme un bébé.»

Tout au long de sa rééducation, le colosse brisé est très encadré, soutenu par sa famille, ses coéquipiers de Castelginest. «Mon club a mis en vente des t-shirts pour m’aider à payer mon fauteuil roulant, ils en ont même vendu en Nouvelle-Zélande.» Le rugby, toujours, car Tony reste passionné et il soutient mordicus ne pas en vouloir à ce sport qui a failli le tuer. «Mais je suis inquiet. Le rugby a changé, autrefois il y avait les gros devant, et des joueurs au physique plus normal à l’arrière. Aujourd’hui, les gabarits sont beaucoup plus gros devant et derrière.» Et les chocs de plus en plus intenses.

«Pourquoi ne pas interdire le plaquage au-dessus du bassin ?»

Quand on évoque avec lui les décès de jeunes joueurs de rugby, celui de Louis Fajfrowski, 21 ans, dans les vestiaires du Stade Jean-Alric à Aurillac, ou celui du jeune joueur du Stade Français Nicolas Chauvin, 19 ans, à Bordeaux, le débit de Tony ralentit. On sent l’homme touché, renvoyé à des souvenirs douloureux. Pour lui, le jeu doit évoluer. «Le rugby est un sport d’évitement, mais il faut garder les contacts. Pourquoi ne pas interdire le plaquage au-dessus du bassin ?», explique celui qui est devenu conférencier. Il assure ne pas être un expert mais il trouve «dommage» que la FFR ne fasse pas appel à lui pour faire de la prévention.

Aujourd’hui Tony prépare un nouveau livre, après Talonneur brisé sorti en 2014 qui racontait son accident, un livre sur la prévention justement. En attendant il s’entraîne pour la traversée du golfe de Saint-Tropez entre les piscines de Toulouse et de Saint-Alban pour son projet qu’il a intitulé «une énergie nouvelle», dont le champion olympique de natation Florent Manaudou est le parrain. Tony Moggio veut relier Sainte-Maxime à Saint-Tropez le 14 juin prochain à la nage, porté par un Sofao, un «fauteuil de baignade» créé par la société Joëlette and Co.

Le colosse, infatigable continue de témoigner de son expérience dans des conférences. Il a également participé au programme court de TF1 «C’est quoi cette question ?» sur le handicap et à la websérie Vestiaires de France 2. Mais dans son emploi du temps chargé, Tony Moggio trouve toujours le temps pour regarder un match de rugby, la passion est intacte. Et l’homme d’assurer : «Le jour où j’aurais un enfant, je lui conseillerai de jouer au rugby…»

Mathieu Quintard