En février 2010, Tony Moggio, talonneur à Castelginest, devient tétraplégique après une mêlée qui a mal tourné. Cinq ans après, il raconte son combat poignant dans un livre.

Publié le : 07/10/2015 à 18:47

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Tony Moggio, un accidenté du rugby qui veut faire porter un regard positif sur le handicap (photo : Anthony Assémat)

La vie de Tony Moggio a toujours été heureuse. À l’école, à l’armée, au rugby, comme cheminot à la SNCF à Toulouse. Et comme personne handicapée.

Le destin de l’enfant de Juzet-d’Izaut, du Cagire des Pyrénées, aux origines italiennes qui ne trompent pas, a basculé ce jour de février 2010 dans une mêlée, au coeur de l’affrontement, du combat, de la sueur. Et des larmes. Avec son équipe de Castelginest, le « talon » bataille à Labarthe-sur-Lèze en Deuxième Série. La veille, Tony était au ski, à un anniversaire. La bringue, rien de plus normal pour un jeune de 25 ans. Il ne devait pas disputer ce match, mais accepte de remplacer un copain au pied levé.

« C’est moi qui l’ai envoyé dans cette mêlée… »

Mauvais présage ? « Quelques semaines avant l’accident, j’avais posé cette question à ma femme, au détour d’une conversation : « Si je suis en fauteuil roulant, est-ce que tu restes avec moi ? ». Son entraîneur, Thierry Boyer, n’a pas oublié et le dit dans le livre : « C’est moi, vous comprenez, c’est moi qui lui ai demandé de renoncer à ses amis pour venir jouer. C’est absurde. Et si… Et si… Il me reste cette certitude : c’est moi qui l’ai envoyé dans cette mêlée où il n’aurait jamais dû se trouver ».

Pourtant, Tony était « affûté, en pleine forme physique ». La vie est capricieuse comme un rebond ovale. On ne maîtrise pas. Comme l’entrée en mêlée et le « trou noir » qui a suivi le choc, ces 1 400 kg de compression qui lui ont brisé la moelle épinière et « éteint la lumière ».

Sur le moment, j’ai peur, je me demande ce qu’il se passe. Je me sens partir. Je suis dans le brouillard, mais lucide.

Se battre pour ne pas être un « putain de légume »

Le ballet du public, des copains de « Castel’ », des pompiers : tout le monde a compris que Tony allait devenir un grand blessé du rugby. Pour les proches, Dominique, la mère, Jean-Claude, le père, et Céline, la soeur, le quotidien ne sera plus le même. On se sent un poids pour les autres, « un légume, un putain de légume ».

Ce sont l’acharnement et la volonté du rugbyman toulousain, contre l’appareil respiratoire, la névrose et le fatum, qui vont le guider vers le bon chemin, celui de la récupération, de la bonne évolution de son état de santé.

« Dans la tétraplégie, l’amélioration se joue dans les deux premières années. Perso, cinq ans après, j’ai gagné en gestuelle, mais pas musculairement. J’arrive par exemple à attraper mon portable », explique Tony, précisant dans le livre : « Je suis sorti de là avec une dignité d’immigrant et un instinct de béret rouge ». Le buffle avait bouffé le légume.

Dans son combat, entre Castelginest, Purpan et le centre de rééducation fonctionnelle de Verdaich, Tony Moggio fait de belles rencontres, décisives, comme le neurochirurgien Sylvain Fowo-Ngadjou. Un corps médical qui n’en fait pas mystère : Tony est un miraculé.

(photo AA)
(photo AA)

« J’aime ma vie de mec en fauteuil »

Aujourd’hui, l’ancien cheminot récolte les fruits de son mental d’acier – « le suicide ne m’a jamais traversé l’esprit » – et mène une vie normale, « remplie ». Il travaille – dans l’immobilier, à distance – il conduit et porte inlassablement sa parole pour faire avancer l’immense cause du handicap.

Avec une personne en fauteuil, on regarde toujours le pire, jamais le meilleur. La vie continue. Et puis, je me sens autonome, je n’ai pas l’impression d’être tout le temps assisté, mes proches ne me le font pas ressentir. C’est même moi qui leur remonte le moral, quelquefois. J’aime ma vie de mec en fauteuil. Je préfère que mon accident soit arrivé au rugby plutôt qu’en traversant la rue.

La jalousie à gérer

Tony vit à Montberon, à côté de chez ses parents, dans une maison entièrement domotisée, adaptée à son quotidien. Accidenté du sport, Tony se définirait presque comme un handicapé privilégié avec des assurances qui jouent leur rôle à plein et un milieu du rugby – il est devenu notamment ami avec l’ancien joueur irlandais du Stade toulousain Trevor Brennan – et un compte en banque qui ne manque de rien. Quand le handicap suscite la jalousie…

J’ai eu ce type de réaction, oui. C’est plus dur à gérer que son propre handicap. Des gens m’ont tourné le dos sans savoir pourquoi. Est-ce que je me mets des barrières ? Je ne sais pas, explique-t-il.

On compte alors les amis qui s’éloignent et ceux qui gravitent autour de ce nouvel univers. Et on compose avec l’incompréhension, l’image du rugbyman handicapé qui peut nuire à l’image de ce sport en plein tournant marketing alors qu’il y a « plus de tétraplégiques en natation que dans le rugby ».

Le rêve d’avoir un enfant

Tony n’a pas renié sa passion pour le rugby. C’est vital, ancré au plus profond. La vie continue. Sa vie, « pas une autre qui commencerait ». À l’été 2015, l’ancien talonneur s’est marié à la femme qui lui a répondu « Oui » à la question posée quelques semaines avant le choc. L’écriture du livre est finie.

Je tire un trait avec ce bouquin. Je voudrais qu’il apporte l’impact attendu et que les personnes tétraplégiques puissent se dire que la vie ne s’arrête pas.

L’avenir ? Ce sont des projets qui fourmillent, même les plus iconoclastes. « J’aimerais que le livre se transforme en film, créer un modèle de fauteuil à mon nom et moins cher que ce que l’on trouve sur le marché ».

Dans l’intimité, Tony et sa femme espèrent réaliser le rêve de leur vie : avoir un enfant. « Il pourra faire du rugby s’il le souhaite, je ne l’empêcherai pas. Ce livre, je l’espère, sera une trace pour mon enfant, sur la façon dont j’ai remonté la pente ». À n’en pas douter, la vie de Tony Moggio junior promet d’être heureuse.

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« Tony Moggio, talonneur brisé », avec Philippe Motta.
Parution aux éditions Privat le jeudi 8 octobre 2015.
Prix : 15 euros.

Soirée de présentation à Castelginest
Jeudi 8 octobre 2015, Tony Moggio et les éditions Privat organisent une soirée-dédicace spéciale autour de la sortie du livre de Tony Moggio et Philippe Motta.
Rendez-vous au Brennan’s Bar de Castelginest (12, grand place), de 17h à 21h.

Photo de Anthony Assemat

Anthony Assemat

Journaliste, chef d’édition à Côté Toulouse