[Le Monde] Du rugby à la tétraplégie
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Adrien Pécout
« Et boum ! » Deux mots et une exclamation pour dire le choc d’une vie. Dimanche 7 février 2010, Tony Moggio dispute un modeste match de « deuxième série », la neuvième division française. L’espace d’« un quart de seconde », le rugbyman amateur détourne la tête à l’instant où s’engage une mêlée. Trop tard. Les bras et les jambes paralysés, iI quitte le terrain dans un hélicoptère. Tétraplégique pour toujours. A seulement 24 ans.
Avec plusieurs années de recul, l’ancien talonneur de Castelginest (Haute-Garonne) publie une touchante autobiographie. Talonneur brisé revient sur son itinéraire depuis cet accident d’une rare gravité – et d’un écho certain dans le milieu de l’Ovalie.
L’ex-ceinture noire de judo « [consent] » d’abord « à tomber dans le lieu commun et la phrase toute faite », selon laquelle il existerait bien une « grande famille du rugby », ce sport qu’il continue d’apprécier et auquel il doit, selon lui, une partie de sa force de caractère. Un sport de combat collectif où tout une équipe est capable de veiller dans un vestiaire jusqu’à minuit passé, raconte le livre, pour attendre les nouvelles d’un coéquipier accidenté.
« Un corps qui s’est enfui »
Tony Moggio peut surtout compter sur la fondation Albert-Ferrasse, créée en 1990 à l’initiative de l’ancien président de la Fédération française de rugby pour venir en aide aux joueurs grièvement blessés. Ou encore, sur la Garantie mutuelle des fonctionnaires, qui assure tous les rugbymen du pays. Précieux soutien lorsqu’il s’agit d’acquérir un fauteuil roulant électrique, et un deuxième « pour parer à toute urgence », à des tarifs qui donnent parfois « le sentiment d’être victime d’une escroquerie ». Prix à l’unité ? Plus de 30 000 euros.
Ecrit avec le concours du journaliste indépendant Philippe Motta, Talonneur brisé délivre aussi et surtout un message d’espoir. Celui d’un combat contre le handicap où l’on apprend à se mettre « sans cesse à l’écoute d’un corps qui s’est enfui, qui ne répond jamais quand on le questionne, qui se réveille quand on ne le lui demande pas et, toujours inerte, vous envoie des signaux dans un langage que vous ne comprenez pas ».
L’ancien militaire, puis cheminot conducteur de train, raconte ses nouvelles victoires de « ressuscité précoce » : quitter les tuyaux de son lit d’hôpital, reprendre peu à peu l’usage de ses membres supérieurs, partir en vacances aux Antilles, emménager dans une nouvelle maison, repasser le permis dans une voiture adaptée, se lancer en télétravail « dans la gestion locative d’appartements meublés »…
Futur projet : donner naissance à un enfant. Dans l’un des témoignages qui accompagnent le récit principal, Marie confirme : « Nous le souhaitons ardemment. Je ne devrais pas le dire mais, si j’avais le choix, ce serait un garçon », conclut sa compagne d’hier comme de demain, qui a renoncé à des études d’infirmière pour mieux l’entourer.
« Talonneur brisé », de Tony Moggio avec Philippe Motta, Editions Privat, 188 pages, 15 euros.
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